Le Cone Beam CT : évolution et révolution

Après l’IDS (International Dental Show) en mars 2011 à Cologne et la conférence et l’exposition de l’ADF (Association Dentaire Française) en novembre de cette même année à Paris,  il est claire que la digitalisation et l’automatisation de la dentisterie est en croissance exponentielle. Une fois de plus, l’imagerie et le planning en 3D, le design assisté par ordinateur (CAD ou computer-aided design) et la fabrication assistée par ordinateur (CAM ou computer-aided manufacturing) sont mises en évidence dans le flux de travail du cabinet dentaire moderne.
Dans cette évolution du flux de travail digitale, qui est nettement plus efficace,  c’est l’imagerie qui joue un rôle cruciale. Il s’agit d’une imagerie dentaire qui n’est désormais plus limitée à la radiographie (l’imagerie à moyens de rayons X) mais qui s’étend dans d’autres régions du spectre des ondes comme le spectre visible ou l’infrarouge. Ce genre d’imagerie optique peut avoir un aspect diagnostic, comme la fluorescence pour détection de caries, ou comme la photospectrométrie digitale qui nous aide avec un relevé numérique de teintes rapide et très précis, ainsi qu’un aspect thérapeutique, comme les empreintes optiques ou digitales qui éliminent le temps de travail, le stress et le sale boulot des empreintes conventionnelles par un scanning intraorale à moyens d’une petite caméra.

Néanmoins, le plus impressionnant dans cette évolution est la révolution du Cone Beam CT, qui a drastiquement changé le diagnostic dentaire. La preuve en est l’augmentation rapide du nombre de producteurs avec plus de 70 modèles CBCT sur le marché. Mais attention, cette nouvelle vue 3D n’est pas sans risques, et 2011 est aussi l’année ou les directives européennes pour l’utilisation du CBCT ont été finalisées qui montrent l’importance d’une formation approfondi requise pour ce genre de diagnostic.

Le Cone Beam CT : situation présente

Le CBCT (Cone Beam Computed Tomography), l’imagerie (tomographie) volumique 3D numérisée à base d’un faisceau radiographique conique, offre le dentiste ou chirurgien maxillo-faciale la possibilité d’obtenir des coupes axiales, sagittales et coronales à travers du volume désiré, mais avec des importantes différences comparé aux CT (scanner médicale). La différence la plus frappante en utilisant la technologie CBCT est un diagnostic dentaire plus précis grâce aux coupes qui sont nettement plus fines et apportent donc des informations plus détaillées au niveau osseux. Ceci permet au clinicien de visualiser les anormalités des plus petites structures dentaire comme l’espace du ligament parodontale et la lamina dura en 3D, ce qui est difficile ou souvent même impossible sur des images d’un scanner médical (Illustration 2).


En plus, cette acquisition volumique du CBCT est effectuée avec une dose beaucoup plus faible attribué au patient. Ceci a comme raison un tube à rayon X qui est moins puissant chez un système CBCT mais surtout la configuration d’acquisition de volumes partiels. Effectivement, il n’est pas nécessaire d’irradier tout le complexe cranio-faciale, car il est donc possible de limiter le champ d’examen à une partie de ce complexe, par exemple une seule mâchoire, ou un volume contenant quelques dents. C’est grâce à cette faible dose et ce grand détail que le 3D à base de Cone Beam est devenu un outil diagnostic extrêmement important qui révolutionne la pratique dentaire et maxillo-faciale.
Parmi un très grand nombre d’études scientifiques au fil des dernières années, c’est surtout le projet européen « SedentexCT » (Safety and Efficacy of a new and emerging dental X-ray modality) qui a mené à de nouvelles directives sur le plan d’imagerie 2D et 3D. Ce projet, une collaboration entre plusieurs universités européennes dont l’université de Manchester (Royaume-Uni), l’université de Leuven (KU Leuven, Belgique), l’université d’Athènes (Grèce), l’université de Cluj-Napoca (Romanie), l’université de Malmö (Suède) et celle de Vilnius (Lituanie), avait comme objectif primordial d’acquérir les informations cruciales pour l’utilisation correcte et scientifiquement soutenu du Cone Beam CT. Ceci pour produire des directives factuelles qui abordent des sujets comme la justification, l’optimisation, les critères de référence et la formation pour les utilisateurs du CBCT. Ainsi, il est devenu très claire, que l’utilisation du CT (scanner médical) devrait rapidement diminuer dans la pratique dentaire. Dans la plupart des cas, les directives montrent que l’utilisation du CBCT est avisée là où le choix d’examen supplémentaire était le CT, comme les impactions dentaires ou les études implantaires, vue sa plus faible dose (Illustration 3).


Mais encore plus important, les directives accentuent que l’imagerie CBCT pourrait présenter un intérêt dans de nombreux domaines (des cas bien sélectionnés évidemment) où l’imagerie 2D conventionnelle et les informations cliniques sont insuffisantes et une image tridimensionnelle est indispensable. Par exemple, en bonne pratique dentaire, l’utilisation d’un scan CT pour le diagnostic de pathologies radiculaires comme une fracture était contre-indiqué vue la dose attribué au patient et la limitation de l’épaisseur de la coupe (la plus fine autour de 0.5mm). Désormais, l’imagerie CBCT peut souvent offrir des informations supplémentaires pour la suspicion de petites fractures ou même fêlures radiculaires, la localisation d’un canal supplémentaire, ou le bilan pré-chirurgical des régions peri-apicales de molaires supérieures (Illustrations 4).

Après son introduction en 1998, avec des premiers systèmes plutôt robustes, une image encore plus nette, une dose encore plus faible et un appareil encore plus design sont les tendances d’évolution. Une des plus importantes évolutions récentes, est la flexibilité de l’appareillage radiographique dentaire prévu pour des cabinets dentaire omni-pratique. De plus en plus, un appareil compact qui ressemble une panoramique numérique sophistiqué  est prévu d’un capteur 3D pour l’acquisition de petits volumes Cone Beam. Celui-ci peut même être configuré d’une telle façon qu’un bras céphalométrique soit inclus, ou que le champ d’examen soit plus flexible pour acquisition de plus grand volumes (Illustration 5).


Ceci apporte naturellement un prix d’achat plus important, mais aussi une plus grande responsabilité sur le plan de diagnostic de grands volumes. Néanmoins, ces « petits cone beam » sont en général limités aux petit champs et champs moyens, pour visualiser quelques dents ou nettement suffisant pour couvrir les deux mâchoires. C’est surtout leurs « grand frères », les Cone Beam à grands champs (de 8cm x 8cm – les deux mâchoires - à 23cm x 17cm – tout le complexe maxillo-faciale, Illustration 6)


qui exigent une grande prudence (ainsi qu’un très grand portefeuille) et qui se trouverons plutôt dans un environnement hospitalier ou dans des centres d’imageries.
 
Directives et formation en Cone Beam CT

Suite à la diffusion rapide de l’imagerie CBCT en dentisterie, l’Association Européenne de Radiologie Dento-Maxillo-Faciale a diffusé 20 principes de base (recommandations principales) pour une bonne maitrise de cette technologie (www.sedentexct.eu/content/basic-principles-use-dental-cone-beam-ct) et qui pourraient servir comme base pour les directives nationales à travers l’Europe, comme la France (Tomographie volumique à faisceau conique de la face, Rapport d’Evaluation, Haute Autorité de Santé, 2009, www.has-sante.fr):

1.    Les examens CBCT ne doivent pas être effectués sans qu’un historique du patient et un examen clinique n’aient été réalisés.
2.    Les examens CBCT doivent être justifiés pour chaque patient, afin de démontrer que les bénéfices l’emportent sur les risques.
3.    Les examens CBCT doivent potentiellement apporter des informations utiles à la prise en charge du patient.
4.    Il n’est pas souhaitable que les examens CBCT soient répétés en routine, sans qu’une nouvelle évaluation bénéfice/risque soit réalisée.
5.    En adressant son patient à un autre praticien pour un examen CBCT, le dentiste référent doit fournir suffisamment d’informations cliniques (issues de l’historique du patient et de l’examen clinique) afin de permettre au praticien réalisant l’examen CBCT d’appliquer la procédure de justification.
6.    Les examens CBCT doivent seulement être réalisés quand la question pour laquelle l’imagerie est requise ne peut obtenir de réponse adéquate par une radiographie dentaire conventionnelle (traditionnelle) moins irradiante.
7.    Les examens CBCT doivent faire l’objet d’une analyse clinique approfondie (« commentaire radiologique ») portant sur l’ensemble des données d’imagerie.
8.    Quand il est probable que l’étude des tissus mous sera requise pour l’évaluation radiologique du patient, l’examen d’imagerie approprié sera le scanner médical conventionnel ou l’IRM plutôt que le CBCT.
9.    L’équipement CBCT devrait offrir un choix varié de volumes d’exploration et l’examen doit utiliser le volume le plus petit compatible avec la situation clinique si cela permet une dose d’irradiation moindre du patient.
10.     Quand l’équipement CBCT offre un choix varié de résolutions, il convient d’utiliser une résolution compatible avec un diagnostic adéquat et une dose minimale.
11.     Un programme d’assurance qualité doit être établi et mis en œuvre pour chaque installation CBCT, incluant des procédures de contrôle de l’équipement, des techniques et de la qualité des examens.
12.     Des aides au positionnement précis et à la stabilité du patient (light beam markers) doivent toujours être utilisés.
13.     Toute nouvelle installation d’équipement CBCT doit subir un examen critique et des tests de contrôle détaillés avant usage afin d’assurer une radioprotection optimale du personnel, du public et du patient.
14.     Les équipements CBCT doivent subir des tests de routine réguliers afin de
s’assurer que la radioprotection du personnel et des patients ne s’est pas
détériorée.
15.     Pour la radioprotection du personnel utilisant le matériel CBCT, les recommandations détaillées dans la section 6 du document radioprotection 136 de la commission européenne, doivent être suivies.
16.     Les utilisateurs d’un équipement CBCT doivent avoir reçu une formation théorique et pratique adéquate pour la pratique radiologique et une compétence suffisante en radioprotection.
17.     Une formation continue est nécessaire après qualification, particulièrement quand un nouveau matériel ou de nouvelles techniques sont adoptées.
18.     Les chirurgiens dentistes responsables d’un équipement CBCT qui n’ont pas reçu préalablement de formation adéquate théorique et pratique doivent subir une période additionnelle de formation théorique et pratique validée par une institution académique (université ou équivalent). Quand une qualification nationale de spécialité en radiologie dento-maxillo-faciale existe, la conception et la délivrance de programmes de formation en CBCT doivent impliquer un radiologue spécialisé en radiologie dento-maxillo-faciale.
19.     Pour les images CBCT des dents, de leurs tissus de soutien, de la mandibule et du maxillaire jusqu’au plancher nasal (soit champs de vue 8×8 ou inférieurs), l’évaluation clinique (« commentaire radiologique ») doit être réalisé par un radiologue spécialisé en radiologie dento-maxillo-faciale ou si ce n’est pas possible, par un chirurgien dentiste correctement formé.
20.     Pour des petits champs de vue non dentaires (par exemple os temporal) et pour toute image CBCT craniofaciale (champs de vue s’étendant au-delà des dents, de leur tissu de soutien, de la mandibule, incluant l’ATM, et du maxillaire jusqu’au plancher nasal), l’évaluation clinique (« commentaire radiologique ») doit être réalisée par un radiologue spécialisé en dento-maxillo-facial ou par un radiologue clinicien (radiologue médical).

Il est donc bien clair depuis le début de son introduction dans les premiers cabinets dentaires, qu’il est nécessaire de parcourir une formation professionnelle en imagerie CBCT avant de pouvoir utiliser et analyser ce genre d’images tridimensionnelles. Cette formation –comme décrit dans les directives européennes- doit consister d’un volet théorique et un volet pratique. Le programme doit tout d’abord se consacrer aux prescripteurs (le clinicien qui envoie le patient pour un CBCT et qui reçoit les images), et en deuxième partie sur l’utilisateur CBCT (celui qui est responsable pour les prises d’images CBCT) et doit aborder des sujets comme la théorie technique sur le CBCT, la radioprotection et radiophysique du CBCT, la justification et l’optimisation des paramètres, l’analyse de l’image tridimensionnelle et son interprétation, la dosimétrie et les risques associés à ce genre d’examens. Ainsi, en Belgique, l’Agence Fédérale de Contrôle Nucléaire (AFCN), c’est basé sur ces directives européennes et celles du Conseil Supérieure de la Santé (CSS) pour établir des critères auxquels cette formation CBCT doit satisfaire, un programme qui doit consister d’un module théorique de deux jours et plutôt pratique de trois jours, avec une évaluation finale.

Future du Cone Beam CT et conclusion

    De plus en plus, de nouvelles études scientifiques démontrent le rôle crucial de l’imagerie CBCT et il est donc inévitable que les directives vont encore évoluer vers une utilisation presque quotidienne dans la dentisterie et chirurgie maxillo-faciale. Au fil des dernières années, les logiciels 3D sont devenus très performants, avec plein de nouveaux outils pour analyser le volume obtenu d’une manière encore plus efficace. Il est par exemple possible de reconstruire des simulations céphalométriques pour analyse d’orthodontie (Illustration 6) ou de suivre l’évolution osseuse en 3D (comme la perte osseuse autour d’un implant, ou l’évaluation d’une greffe osseuse, Illustration 8).

Parallèlement à la digitalisation du flux de travail dentaire, une tendance vers « Single Session Treatments » est évidente, comme le planning implantaire virtuel et la chirurgie guidée. Dans une première session, toutes les informations nécessaires sont obtenues: le scan CBCT pour l’évaluation osseuse, l’empreinte optique intra-orale pour visualisation des tissus mous (difficile de discerner sur l’image CBCT) ou même l’image photographique (technologie incluse dans certains appareils CBCT) et l’articulation virtuelle du patient (Illustration 8). En fusionnant ces images, un vrai planning virtuel peut être réalisé avec un design de la restauration assisté par ordinateur, pour finalement à l’aide de CAM produire tout les components de la restauration définitive. Ce fusionnement d’images optiques nous aide en plus à optimaliser la qualité d’image du CBCT en éliminant les artéfacts métalliques ou en augmentant le détail au niveau de l’occlusion.
    Néanmoins, avant de pouvoir suivre cette évolution rapide et s’approfondir sur des analyses plus compliqués, il est donc important de tout d’abord maitriser les principes de base, et surtout de connaitre les directives pour une utilisation et indication correcte de l’imagerie CBCT.  

    
Références

1. Horner K, Islam M, Flygare L, Tsiklakis K, Whaites E (2009) Basic principles for use of dental cone beam computed tomography: consensus guidelines of the European Academy of Dental and Maxillofacial Radiology. Dentomaxillofac Radiol 38:187-195.
2. SedentextCT Project (2011) Radiation protection: cone beam CT for dental and maxillofacial radiology. Evidence-based guidelines 2011. Available for download at  http://www.sedentexct.eu/files/guidelines_final.pdf. Accessed 14 Febr 2012.
3. HAS – Haute Autorité de Santé. Tomographie volumique à faisceau conique de la face (Cone Beam Computerized Tomography). Avis sur les actes. Saint-Denis La Plaine, France, décembre 2009.
4. CSS – Conseil Supérieure de la Santé. Avis du Conseil Supérieure de la Santé n0 8705 : Dental Cone Beam Computed Tomography. Bruxelles, Belgique, février 2011.
5. Vandenberghe B, Jacobs R, Bosmans H (2010) Modern dental imaging : a review of the current technology and clinical applications in clinical practice. Eur Radiol 20 :2637-2655.
 

Par Dr Bart Vandenberghe
Département de Dentisterie Prothétique, KU Leuven, Belgique
Advimago, Centre d’Imagerie Orale Avancée, Bruxelles, Belgique (www.advimago.be)

La Lettre de la Stomatologie N° 53 – Mars 2012